Quand on choisit de s’engager sur la voie universitaire, il faut être au courant des règles existantes pour protéger les autres et pour promouvoir au mieux la réussite. Le jeune homme qui vient de s’introduire dans l’amphithéâtre ne semble pas au fait de ces règles basiques. En troisième année, on aurait quand même pu penser qu’il serait un peu plus respectueux, pourtant ! La première règle est simple. Même un enfant pourrait la deviner puisqu’elle s’applique sans cesses. Elle consiste simplement à arriver à l’heure aux cours. Même les débutants peuvent se douter de l’existence de cette règle. Mais lui arrive en retard, vraiment en retard et interrompt donc le cours, causant un peu d’animation dans cette barbante et inutile leçon de grammaire. La seconde règle ne peut exister que si la première a été enfreinte. Il s’agit de s’installer le plus près possible avec le plus de discrétion. Le nouveau venu respecte la première partie mais pas la seconde. Je me demande comment il se débrouiller pour faire autant de bruit. On dirait qu’ils sont quatre alors qu’il est seul. Enfin bon, le professeur ne relève pas et reprend ses explications tandis que je recommence à surfer sur le net, ne prenant que quelques notes de temps en temps sur la feuille qui se trouve à ma droite. Mon netbook me sauve de l’ennui à chaque fois que ce cours commence. Et soudainement, l’animation produite par le retardataire recommence. Je l’entends avant de le voir se lever pour venir près de moi. Je lance un regard effaré au prof qui s’empresse de se défouler sur le perturbateur. Finalement, il ne respecte même pas la première partie de la deuxième règle. Un sourire en coin sur les lèvres, je reprends mes activités, après toutefois avoir décalé mes affaires pour qu’il ne soit pas gêné par elles. Pourquoi est-ce que cela me préoccupe ? Tout simplement parce que même si lui est aussi discret qu’un troupeau d’éléphant dans un magasin de porcelaine, je ne suis pas du genre à faire suer mon monde. L’ignorant royalement, je reprends ma lecture de la presse économique américaine. L’économie n’est pas un domaine qui m’intéresse, sauf lorsqu’il s’agit de l’entreprise familiale de mon ex.

Et soudain, c’est l’accident. Je pousse un peu trop ma trousse au bord de la table et elle se renverse sur le sol, entre le retardataire et moi. Et zut ! Une grimace un peu gênée sur le visage, je m’empresse de me pencher pour ramasser sans un bruit mes affaires que je fourre dans ma trousse avec empressement. Cette fois-ci, je zippe la fermeture éclair et repousse ma trousse au milieu de la table, histoire d’éviter les accidents ! Alors que je note brièvement une phrase que je ne trouve pourtant pas intéressante sur ma feuille, faisant donc semblant d’être impliquée dans le cours, le retardataire s’adresse à moi, enfreignant la troisième règle, celle du silence. Je récupère mon stylo rouge et le remercie d’un bref signe de la tête avant de ramener mon attention sur mon écran. Je lis toujours la presse américaine, je ne peux pas m’en empêcher. Parfois, je lis des nouvelles intéressantes sur la santé de l’entreprise de mon ex et je me sens un peu triste et nostalgique, comme maintenant. Je soupire et finit par changer de page, d’article, de sujet.

A côté de moi, mon voisin n’a pas l’air très intéressé par le cours. S’il continue à tapoter sur la table, je vais lui envoyer ma trousse dans la figure. Cette attitude arrive en deuxième position sur la liste de ce que je ne supporte pas, après le mâchouillage intempestif et bruyant de chewing-gum. Je le regarde de travers, essayant de lui faire comprendre qu’il m’agace. Puis il décide de m’envoyer des boulettes de papier dessus. Non mais je rêve ! Je tourne ma tête vers lui et c’est un regard assassin qui le fixe. Heureusement pour lui que les yeux ne peuvent pas tuer, autrement il serait à présent une véritable passoire ! Et, sans crier gare, il me fait une demande tellement incongrue que je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Je me reprends rapidement en me rendant compte du bruit que je fais et me retourne, aussi agacée qu’amusée vers moi voisin de tablée.

«Mais t’as quel âge toi ? T’es sûr que tu ne t’es pas trompé d’endroit ? Le collège, c’était deux rues plus loin ! »

J’ai chuchoté autant que faire se peut pour ne pas trop déranger l’amphi. Après le boucan, les boulettes de papier et cette demande, c’est la seule chose qui me soit venue à l’esprit. Sérieusement, on dirait un collégien fraîchement sorti de l’école primaire, et ça m’amuse. Ca anime le cours, ça anime la journée, ça me change les idées. Quand même, il ne manque pas de culot !

« J’ai pas de gâteau pour toi, espèce de goinfre, mais j’ai ça. »

Je fouille dans mon sac et en sors une pêche que je lui lance sans crier gare.

« Fais pas la fine bouche. Si t’es pas content, fallait te lever plus tôt et déjeuner avant de partir. »

Je prends mon ton maternel, celui que j’utilise avec Soo Ji quand elle a fait une ânerie alors que je lui ai déjà dit mille fois de ne pas le faire. Ce petit est agaçant, mais il a le mérite d’occuper le temps. Espérons juste que l’on ne dérange pas le cours, autrement le professeur pourrait très bien nous virer !